Nous nous sommes entretenus avec Randy Brown, responsable de la gestion d’actifs liés à l’assurance à Gestion SLC et premier directeur des placements de la Sun Life, pour savoir comment Gestion SLC envisage les crises actuelles dans le cadre de l’intégration des facteurs ESG à ses portefeuilles de placement.
Pourquoi les investisseurs institutionnels s’intéressent-ils davantage aux facteurs ESG? La pandémie a-t-elle influencé leur réflexion?
À Gestion SLC, nous avons toujours tâché d’investir tous nos portefeuilles de manière durable. Notre société mère et principal client, la Sun Life2, figure depuis plus de 10 ans sur la liste des 100 entreprises les plus engagées en matière de développement durable dans le monde3. Que ce soit pour la Sun Life ou pour tous nos autres clients, nous investissons avec conviction en nous alignant sur les objectifs des clients. Au moment où les investisseurs accordent la priorité aux facteurs ESG dans leurs portefeuilles, il importe plus que jamais que nous comprenions la façon dont ils abordent la durabilité et la gouvernance dans le cadre de notre approche des placements.
La crise de la COVID-19 a pour ainsi dire marqué un point tournant pour l’investissement en fonction des facteurs ESG. Les institutions ont reconnu que sans une réponse mondiale hâtive et coordonnée, les menaces nouvelles pourraient avoir des conséquences incontrôlables sur la planète. Très vite, on a comparé la gestion de la COVID-19 à celle des changements climatiques. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons appris que chacun doit faire sa part parce qu’il ne s’agit pas de problèmes locaux. Une centrale au charbon en Asie peut avoir un effet sur le climat à l’échelle mondiale. Nous sommes tous liés les uns aux autres, comme la pandémie nous l’a si bien rappelé.
Et il ne s’agit là que du « E » d’ESG. La pandémie a aussi donné un nouveau sens aux facteurs sociaux. La COVID-19 a fait ressortir les inégalités financières entre les différents groupes sociaux dans le monde. Alors que la planète se confinait, les cols blancs ont conservé leur emploi et leurs avantages tandis que des millions de personnes perdaient leur emploi. Le privilège conféré par la possession d’un ordinateur et l’accès à Internet s’est encore accentué. Les riches se sont enrichis en économisant l’argent qu’ils auraient autrement consacré aux déplacements et dépensé dans les restaurants, centres commerciaux et salles de spectacles. Par contre, les employés horaires de ces endroits ont été soit mis à pied, soit forcés de travailler hors de chez eux et de courir ainsi un plus grand risque de contracter la COVID-19. L’immédiateté d’enjeux comme les pratiques de travail équitables et l’inégalité des revenus dans tous les aspects de la vie a placé les questions ESG au cœur du processus décisionnel des investisseurs institutionnels. Cette divergence des conséquences sociales a aussi entraîné une résurgence du nationalisme dans le monde, qui a perturbé les chaînes d’approvisionnement et mené à des changements politiques et stratégiques radicaux qui ont un impact direct sur les entreprises dans divers secteurs3.
Comment envisage-t-on les facteurs ESG à Gestion SLC?
Nous croyons que l’intégration de facteurs ESG quantifiables et de risques non financiers moins quantifiables dans notre approche de placement mènera à des résultats financiers solides à long terme. L’analyse ESG a toujours fait partie intégrante de notre mission d’investisseur actif fondamental. Plus que jamais, nous reconnaissons que nos gestes peuvent avoir un effet positif sur le bien-être des collectivités dans lesquelles nous travaillons et vivons. Par exemple, nous avons récemment rejoint Climate Action 100+, initiative menée par des investisseurs pour appeler les plus grandes sociétés émettrices de gaz à effet de serre dans le monde à prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques.
Sur le plan de notre démarche, nous désignons notre modèle de recherche sur les placements durables par l’expression ESG Plus. Le terme « Plus » est essentiel pour comprendre notre vision du monde, puisqu’il renvoie à l’accent que nous mettons sur un large éventail de facteurs non financiers. En effet, en plus d’analyser les risques ESG, nous tâchons de prendre en compte une myriade de développements et d’événements futurs difficiles à quantifier. De nombreuses tendances non financières, comme les innovations et les technologies de rupture, auront une incidence sur le rendement des placements, maintenant et à l’avenir.
Nous consignons nos observations (c.-à-d. les facteurs de risque importants et les aspects à considérer) et intégrons ces facteurs dans le « cours normal » de l’analyse fondamentale du risque des titres, des placements et des secteurs. Nos recherches sur les questions ESG sont mises à la disposition de toutes les équipes de placement de Gestion SLC, qui peuvent ainsi puiser dans ces éclairages et les mettre à profit dans leurs propres portefeuilles.
Nous croyons qu’une analyse rigoureuse des facteurs financiers et ESG peut produire des rendements ajustés au risque intéressants à long terme. En tenant compte des facteurs ESG dans nos décisions de placement, nous améliorons notre analyse fondamentale du risque de crédit, ce qui se traduit par des décisions de placement et une gestion de portefeuille plus judicieuses.
Comme nous l’avons appris en 2020, le monde peut changer rapidement, d’où la nécessité d’adopter une approche holistique, évolutive et durable des placements au lieu de s’en tenir à des directives statiques. Nous poursuivrons nos efforts de développement et d’amélioration de nos capacités de recherche dans tous les domaines, dont les facteurs ESG, afin de prendre les meilleures décisions de placement pour nos clients.
À Gestion SLC, prenez-vous en compte les facteurs ESG dans tous vos placements? Le faites-vous différemment selon le secteur ou la catégorie d’actif?
Oui – nous prenons en considération les facteurs ESG dans tous nos placements. Ce type d’analyse fait partie intégrante du travail de nos analystes en recherche sur les titres publics et privés dans tous les secteurs dans lesquels nous investissons. Nos évaluations tiennent compte des renseignements provenant de fournisseurs externes, mais à titre d’investisseurs adeptes du placement ascendant, nous nous fions davantage à nos propres recherches et notations. Nos analystes du crédit attribuent aux titres une note de crédit fondamentale et, le cas échéant, une note ESG qui reflète notre appréciation des facteurs ESG et nos recherches sur chaque titre de créance et placement.
Nos gestionnaires de portefeuille et nos analystes du risque de crédit discutent constamment de l’évolution des marchés du crédit. Avant d’acheter, de vendre ou de modifier des positions, nos gestionnaires de portefeuille s’assurent de disposer d’une appréciation fondamentale à jour du titre de créance ou placement examiné. Dans le cas des titres de créance négociés sur les marchés publics, nos analystes scrutent à la loupe chaque titre, en discutant directement avec les sociétés pour en comprendre pleinement la durabilité à long terme. Cette démarche vise à comprendre des facteurs comme le risque d’inondation d’un immeuble en raison des changements climatiques ou la diversité d’une société privée. Ces facteurs ne sautent pas nécessairement aux yeux. Par exemple, il peut être difficile de savoir combien de plastique une société de biens de consommation utilise et à quoi ressemble son plan de recyclage. Il incombe à nos analystes de pousser la recherche le plus loin possible avant de fixer une note ESG.
L’horizon de placement entre également en jeu dans l’appréciation des facteurs ESG dans le cadre de la constitution des portefeuilles. Par exemple, puisqu’un titre de créance privé est habituellement détenu jusqu’à l’échéance, nous devons prioriser l’analyse ESG avant le placement initial. Par ailleurs, les actifs privés étant souvent liés à des projets particuliers, il est plus facile d’en déterminer les incidences environnementales. Par contre, il est moins évident d’obtenir et d’interpréter les données et de comprendre les facteurs ESG dans d’autres segments du marché – comme les créances titrisées que nous avons beaucoup étudiées dernièrement.
Qu’en est-il des investisseurs institutionnels – en quoi ont-ils des approches différentes de l’investissement en fonction des facteurs ESG?
Les investisseurs institutionnels sont contraints de respecter le cadre réglementaire qui les régit. Par exemple, les compagnies d’assurance doivent tenir compte de l’évolution des politiques fédérales, provinciales et locales dans l’affectation de leur capital. De plus, il faut faire la différence entre les portefeuilles existants des assureurs et leurs nouvelles acquisitions. Du côté des nouvelles acquisitions, les assureurs modifient rapidement la répartition de leurs placements. Ils investissent moins dans les combustibles fossiles, le charbon et le tabac4,5,6. Ils se soucient davantage de la gouvernance et des facteurs sociaux, comme la chaîne d’approvisionnement et la diversité. Par contre, leur capacité de vendre des positions existantes – qui peuvent avoir été acquises il y a 10, 20, voire 30 ans – est limitée par des contraintes comptables et fiscales.
De leur côté, les promoteurs de régimes de retraite n’ont pas à composer avec de telles restrictions quand vient le temps de modifier la composition de leurs portefeuilles. Ainsi, bon nombre d’entre eux ont pu donner plus rapidement un caractère ESG à l’ensemble de leur portefeuille. Deux raisons essentielles expliquent cette tendance, à savoir les pressions exercées par les parties prenantes, dont les retraités, en faveur de l’adoption rapide d’une telle perspective ESG et le désir des sociétés d’intégrer une plus grande transparence ESG aux stratégies de leurs régimes de retraite. Du plus, les promoteurs de régimes doivent composer avec une transformation rapide du contexte réglementaire. Par exemple, aux États-Unis, l’administration Biden a annoncé qu’elle n’appliquerait pas une loi du gouvernement précédent qui limitait la prise en compte des facteurs de risque ESG dans les décisions de placement et que des précisions suivraient plus tard cette année. Au Canada, le Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers de l’Ontario a recommandé que tous les émetteurs publics communiquent davantage de données ESG importantes, y compris des données prospectives.
Je pense aussi que le segment des régimes de retraite à cotisations déterminées devient un important secteur de croissance pour l’investissement en fonction des facteurs ESG. Ce marché affiche la progression la plus rapide dans le domaine de l’épargne-retraite7,8 et il dessert les jeunes travailleurs qui n’ont pas accès aux régimes à prestations déterminées traditionnels. Or, des recherches montrent9 qu’au moment de dépenser, d’épargner et d’investir, les jeunes participants accordent de plus en plus d’importance à l’impact des sociétés sur l’environnement et leur collectivité.
Envisageriez-vous de vous départir d’un placement en raison des facteurs ESG?
Bien que de nombreux facteurs influencent notre analyse d’un placement, il est arrivé que les questions ESG jouent un rôle déterminant dans notre décision d’acheter, de conserver ou de vendre un titre. Par exemple, nous nous sommes dessaisis de nos positions dans un certain nombre de sociétés fortement investies dans le charbon. De même, nous avons exclu du portefeuille de certains clients des secteurs qui allaient à l’encontre de leurs objectifs de placement et de leurs convictions ESG, comme les placements liés au tabac.
Cependant, tout changement prend du temps. Cela vaut aussi pour l’investissement en fonction des facteurs ESG. Nous sommes dans une phase de transition. Les investisseurs et les décideurs remanient leurs portefeuilles à la lumière de nouvelles façons d’envisager la réussite d’une entreprise à long terme. Les sociétés doivent s’adapter, mais elles ne peuvent atteindre les cibles de réduction des émissions du jour au lendemain. C’est pourquoi nous ne les jugeons pas seulement sur leur situation actuelle – mais aussi sur l’orientation qu’elles prennent.
Il importe aussi de se rappeler que, contrairement aux gestionnaires d’actifs qui détiennent des blocs importants d’actions cotées en bourse, nous n’avons pas le pouvoir d’exercer des votes par procuration. Par conséquent, il nous incombe de faire part de nos questions et préoccupations directement aux sociétés que nous souhaiterions inclure dans nos portefeuilles. Cette mobilisation et cette gérance des placements revêtent une importance primordiale pour une société comme Gestion SLC, qui investit principalement dans des titres à revenu fixe publics et privés. En qualité de gestionnaires d’actifs, nous estimons qu’il est de notre devoir de tenir ces entreprises responsables de la réalisation de leurs objectifs de durabilité, dans l’intérêt de nos investisseurs, de leurs actionnaires et du monde.
Récemment, Gestion SLC a acquis Crescent Capital Group. Gestion SLC comptant quatre sociétés partenaires, comment arrimez-vous vos efforts dans le cadre de votre stratégie ESG?
Nous jugeons important de laisser nos gestionnaires de placements agir de façon autonome, tout en visant des objectifs similaires. Habituellement, les gestionnaires d’actifs acquièrent d’autres gestionnaires d’actifs en raison de leur réussite, de leur excellent historique de rendement et de leur culture exceptionnelle et parce qu’ils apportent ou complètent une activité en pleine croissance. Dans notre secteur, il est arrivé que des acquisitions ne produisent pas les effets escomptés parce que la société mère avait perdu de vue la raison de cette acquisition. Nous avons eu la chance d’intégrer dans la famille de Gestion SLC des sociétés de premier ordre, comme GreenOak (que nous avons fusionnée avec BentallKennedy pour former BentallGreenOak), InfraRed Capital Partners et Crescent Capital, choisies en grande partie parce qu’elles partageaient nos valeurs en matière de service personnalisé et d’excellence des résultats pour les clients.
Chacune de nos sociétés partenaires dessert sa propre clientèle et gère ses propres mandats ESG. Cependant, nous mettons à profit les données et l’expérience de chacune pour renforcer notre capital intellectuel, nos recherches et nos processus communs. Comme le dit l’expression, « le tout est plus grand que la somme de ses parties ».
De plus, nous mobilisons collectivement notre capital humain ESG dans le cadre d’un comité de durabilité dûment structuré. Ce comité réunit des hauts dirigeants de Gestion SLC qui travaillent ensemble à définir des initiatives de durabilité à l’interne comme à l’externe – depuis les idées sur la façon d’interagir avec les communautés et les sociétés jusqu’aux perspectives de placements durables sur les marchés publics et privés.
Comment Gestion SLC se compare-t-elle à d’autres investisseurs ESG?
Nous sommes idéalement placés pour aider les investisseurs institutionnels à réaliser leurs objectifs ESG. Étant à la fois société de placement et membre du groupe Sun Life, nous comprenons tant le point de vue des gestionnaires d’actifs que celui des propriétaires d’actifs. De plus, le fait de compter notre société mère parmi nos clients et de travailler avec nos sociétés partenaires nous permet d’aborder un grand nombre de catégories d’actif et de comprendre l’incidence des facteurs ESG sur différents types de placements dans une vaste gamme de portefeuilles. Enfin, le fait de travailler avec des compagnies d’assurance, des caisses de retraite et d’autres investisseurs institutionnels ayant un long horizon de placement nous a habitués à penser à long terme, ce qui est l’essence de la durabilité.
Nous comprenons que les choses évoluent dans cette direction. Nous savons que les sociétés doivent être plus attentives à leurs pratiques ESG, sans quoi leur rendement risque de s’en ressentir à moyen et à long terme. La promotion de l’investissement durable est un pilier important de notre organisation et fait notre fierté. Chacune de nos équipes de placement a soutenu des projets qui contribuent à l’environnement, au progrès social et à la bonne gouvernance dans le monde. Actuellement, nous investissons dans les refuges pour sans-abri, les centres de désintoxication aux opioïdes, l’amélioration de l’efficacité énergétique et hydrique des écoles et des hôpitaux, la production d’énergie renouvelable, les microréseaux électriques et le chauffage urbain centralisé – autant de programmes et d’initiatives qui apportent des changements durables dans divers secteurs d’activité et dans la vie des gens et des communautés.
Gestion SLC a investi 2,5 milliards10 dans les obligations vertes et durables en Amérique du Nord et en Asie et 57,5 milliards11 dans l’immobilier et les infrastructures durables. InfraRed a effectué son premier investissement dans les énergies renouvelables en 2006; depuis lors, elle a investi dans une capacité de production de plus de 6 gigawatts d’énergie éolienne et solaire. Crescent Capital a mis en place des filtres ESG pour toutes ses positions supérieures à 19 milliards. Par ailleurs, BentallGreenOak a investi dans un certain nombre de projets immobiliers axés sur la revitalisation d’immeubles existants par l’amélioration de la qualité de l’air et les systèmes de sécurité et l’aménagement d’espaces verts à usage communautaire12.