Épisode 19

15 SEPTEMBRE 2021

Trois questions sur les banques centrales pour Dec

Steve s’entretient avec Dec Mullarkey, directeur général, recherche et initiatives stratégiques, placements à Gestion SLC, au sujet de l’expansion du bilan de la Fed et de ses conséquences pour le marché (transcription en français seulement).

Steve Peacher : Bonjour à tous et merci d’être parmi nous pour un autre épisode de « Trois en cinq ». Je m’appelle Steve Peacher et je suis président de Gestion SLC. Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Dec Mullarkey qui est directeur général de notre secteur de recherche stratégique. Merci d’avoir accepté notre invitation, Dec.

Dec Mullarkey : Le plaisir est pour moi, Steve.

Steve Peacher : Aujourd’hui, j’aimerais que nous parlions du bilan des banques centrales. À commencer par la Fed, celles-ci ont énormément alourdi leur bilan durant la crise financière et la crise de la COVID, surtout en achetant des obligations sur le marché. Pouvez-vous nous donner une idée de l’ampleur de ce phénomène, particulièrement aux États-Unis?

Dec Mullarkey : Bien sûr, et vous avez raison de dire que ces deux crises ont provoqué cet alourdissement. Commençons par les États-Unis, avant de toucher un mot des autres grandes banques centrales. Le bilan de la Fed s’élève à environ 7 000 milliards de dollars, l’équivalent du tiers du PIB canadien. C’est beaucoup. Voyons comment nous en sommes arrivés là. Avant la crise financière de 2008, le bilan de la Fed n’atteignait même pas 1 000 milliards de dollars. La crise faisant craindre une récession profonde, voire une dépression, la Fed a abaissé ses taux au plancher, puis s’est dit qu’il fallait en faire plus, d’où l’idée d’acheter massivement des obligations. C’est ainsi qu’elle a acheté des obligations d’État et des titres adossés à des créances hypothécaires à hauteur d’environ 4 000 milliards de dollars. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais c’est ce qui explique la moitié de l’expansion du bilan. La Fed a ensuite voulu réduire son bilan, mais des répliques de la crise l’ont empêchée d’aller très loin sur cette voie. Quand la COVID a menacé de disloquer l’économie, la Fed a ressorti la même recette, mais plus vite, en ajoutant encore 4 000 milliards de dollars à son bilan qui frôle maintenant les 8 000 milliards. Les autres banques centrales ont fait de même. Comme d’habitude, la Banque centrale européenne a été plus lente, mais elle se retrouve néanmoins avec un bilan de 10 000 milliards de dollars. C’est 7 000 milliards au Japon, 6 000 en Chine. Tout le monde est logé à la même enseigne, mais il fallait que l’économie résiste à deux chocs historiques comme nous n’en avons pas connu d’autres de notre vivant. Les banques centrales ont jugé que l’injection d’argent était la seule façon d’empêcher la paralysie des marchés des capitaux; de ce point de vue, elles ont réussi.

Steve Peacher : Cette expansion du bilan n’équivaut-elle pas à imprimer de l’argent? Si oui, pourquoi toute cette liquidité n’a-t-elle pas entraîné une flambée inflationniste?

Dec Mullarkey : C’est en effet intrigant. Vous avez raison de dire que ça revient à imprimer de l’argent. La Fed le fait en créant des réserves, mais le résultat est le même. La Fed aurait voulu stimuler l’inflation après la crise financière, mais ça n’est pas arrivé. D’une part, les ménages étaient surendettés quand la crise a ébranlé leur bilan; bien que l’argent soit bon marché, ils n’allaient donc pas emprunter davantage, mais plutôt tâcher de réduire leur endettement pour le ramener sous contrôle. D’autre part, les banques hésitaient à prêter au sortir de la crise financière. Vu l’absence d’expansion de la dette, l’argent n’est pas vraiment revenu dans l’économie. C’est pourquoi l’inflation ne s’est pas manifestée après la crise financière; elle est restée plutôt anémique malgré les efforts de la banque centrale pour la faire monter. La même chose semble se répéter maintenant. Tout le monde lit les manchettes et se dit que l’inflation grimpe. Or, malgré la hausse passagère de l’inflation, les attentes d’inflation diminuent. À ce propos, la Bank of New York a réalisé une étude très intéressante sur l’attitude actuelle des consommateurs américains, en se demandant ce qu’ils avaient fait de leurs trois chèques de relance. Et devinez quoi? Les consommateurs n’ont dépensé que 30 % de cette somme; le reste a été épargné ou a servi à rembourser des dettes. Cette fois encore, les consommateurs sortent de la crise avec une extrême prudence, qui pourrait persister une fois passés les effets temporaires que nous observons maintenant. Ceci pourrait annoncer une inflation plutôt modérée, et la banque centrale continuera sans doute de se demander comment la stimuler.

Steve Peacher : Nous arrivons à la question relative à l’argent. Comment les banques centrales vont-elles dénouer leurs positions et, tout aussi important, quelles seront les conséquences de cette réduction de leur bilan pour les marchés qui ont profité des faibles taux d’intérêt résultant de cette politique?

Dec Mullarkey : C’est la grande question, et là encore, les banques centrales avancent en terrain inconnu, sans pouvoir s’aider des manuels d’économie. Il faudra d’abord retirer les mesures de relance en réduisant progressivement les achats d’obligations. La Fed prévoit probablement commencer à le faire à la fin de l’année. Ce n’est qu’une petite étape du parcours, qui devrait néanmoins prendre un an. Il faudra ensuite relever les taux nettement au-dessus de zéro. Ça pourrait prendre un an de plus, pour amener les taux à court terme autour d’un et demi pour cent. Par la suite, comme elle l’a fait après la crise financière de 2008, la Fed se dira que le moment est venu de réduire son bilan en ne réinvestissant pas les flux provenant de son portefeuille d’obligations. Selon mes estimations, ça ne devrait pas arriver avant 2026. Une autre question se posera alors, à laquelle les marchés devront être attentifs. Avant la crise financière, la Fed estimait que des réserves de 1 000 milliards de dollars suffisaient pour couvrir la monnaie en circulation. Cependant, les marchés des capitaux ont changé, notamment avec les opérations de pension sur titres, et elle s’aperçoit qu’elle devra sans doute conserver 2 000 milliards de dollars à son bilan pour faire fonctionner le système. Ajoutez à ça la croissance prévue de 3 000 milliards de la masse monétaire et vous arrivez à un bilan de 4 000 ou 5 000 milliards de dollars. En laissant passivement son bilan diminuer à ce niveau, la Fed permettra aux marchés d’intégrer cette réalité; ça se fera sans heurts parce qu’elle aura clairement indiqué où elle s’en va. Si une autre crise devait éclater, elle pourrait certes continuer d’acheter des obligations, mais il arrivera un moment où ce ne sera plus efficace. Ce sera intéressant à suivre. Nous espérons tous une diminution passive et prévisible du bilan, mais beaucoup de choses peuvent survenir d’ici là.

Steve Peacher : Espérons que ça se fasse progressivement et que les marchés puissent s’ajuster de façon graduelle.

Dec Mullarkey : Tout à fait.

Steve Peacher : Je termine avec une question qui n’a rien à voir avec la planche à billets ou le bilan de la Fed. Nous sommes tous deux amateurs de tennis et j’aimerais savoir qui vous voyez gagner le U.S. Open, du côté des hommes, des femmes ou des deux.

Dec Mullarkey : Djokovic paraît difficile à battre, mais j’aime beaucoup le jeu du jeune Canadien Auger-Aliassime. J’adorerais le voir affronter Djokovic en finale, mais je ne sais pas s’il se rendra jusque-là. Du côté féminin, je choisis Leylah Fernandez. À 18 ans à peine, cette jeune Canadienne a vaincu Osaka, puis Kerber devant un public étranger. Elle joue avec aplomb et spontanéité et je la vois aller jusqu’au bout. Ce sera difficile, mais ce serait formidable qu’elle gagne et qu’un Canadien se hisse au sommet du côté masculin.

Steve Peacher : Ça s’annonce passionnant, comme à chaque week-end de demi-finales et de finales du U.S. Open. Merci, Dec, d’avoir pris le temps de nous parler et merci à tous d’avoir été à l’écoute de cet épisode de « Trois en cinq ».

Dec Mullarkey : Ce fut agréable comme toujours, Steve.

 

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