Épisode 68

12 OCTOBRE 2022

Mark Attanasio parle du contexte changeant du crédit privé

Mark Attanasio, cofondateur et associé directeur de Crescent Capital Group LP, parle des changements survenus sur le marché du crédit privé au fil des ans et de son évolution future.

Steve Peacher : Bonjour tout le monde. Merci d’être à l’écoute de cet épisode de la série Trois en cinq. Ici Steve Peacher, président de Gestion SLC. Je suis heureux d’accueillir de nouveau Mark Attanasio, qui, comme chacun sait je pense, est cofondateur de Crescent Capital. Merci, Mark, d’avoir accepté mon invitation aujourd’hui. La dernière fois que vous avez participé à Trois en cinq, je crois me souvenir que nous avons beaucoup parlé de baseball. Aujourd’hui, j’aimerais parler des marchés du crédit. Nous savons que Crescent Capital a été fondée en 1991 et que vous êtes des pionniers des marchés du crédit. Avant cela, vous étiez chez Drexel, qui a vraiment lancé le marché des obligations à rendement élevé. Ma première question est la suivante : en quoi pensez-vous que les choses ont changé? Autrement dit, qu’est-ce qui est différent aujourd’hui par rapport aux années 1980 et au début des années 1990, quand vous avez fondé Crescent Capital?

Mark Attanasio : Merci, Steve. Je suis toujours content de parler d’un sujet en public, et même si le crédit privé est loin d’être aussi passionnant que le baseball, il s’y passe quand même beaucoup de choses intéressantes. Quand j’ai commencé chez Drexel en 1985, c’était vraiment le début du marché des obligations à rendement élevé. Aujourd’hui, tous ces marchés – le marché des prêts largement syndiqués, le marché des obligations à rendement élevé, et maintenant le marché du crédit privé – valent plusieurs billions de dollars, ce qui était inimaginable alors. En 1988, je crois, le pupitre de négociation a organisé une fête pour notre groupe quand le marché des obligations à rendement élevé a atteint les 50 milliards de dollars. À l’époque, des marchés et des sous-marchés de plusieurs billions de dollars n’étaient même pas envisageables; nous y reviendrons plus tard, mais je pense que ce genre de croissance asymétrique pourrait se poursuivre dans le crédit privé. Cela dit, le marché sert toujours à la même chose que dans les années 1980 : à financer des rachats et des acquisitions et à lever du capital de croissance. Et en pensant à notre discussion d’aujourd’hui, je me suis rappelé – ce qui ne nous rajeunit pas – qu’une des premières opérations sur lesquelles j’ai travaillé au pupitre des placements privés – comme nous les appelions alors – a été le rachat de Filene’s Basement; vous y avez peut-être magasiné quand vous étiez plus jeune. C’était un des plus gros magasins à bas prix des États-Unis – le plus gros, je crois – et un des plus prospères. Et comme beaucoup d’autres, il s’est développé au-delà de ses activités de base, a fini par changer de mains et a fait faillite. Au milieu des années 1980, nous avons financé son rachat au moyen de titres de créance privés ou de prêts directs, comme on dit maintenant, et avec certains fonds d’investissement privés comme Greylock, qui est aujourd’hui un gros investisseur privé en capital de risque. Comment faisait-on alors? Les opérations étaient structurées exactement de la même façon qu’aujourd’hui. Vous accordez un prêt à une société. Vous analysez ses flux de trésorerie, ses perspectives pro forma, et vous incluez davantage de clauses restrictives que dans le cas d’un prêt public. Vous passez plus de temps avec la direction pour mieux comprendre l’entreprise, et, en guise de prime de liquidité, vous obtenez un taux d’intérêt plus élevé que sur les marchés publics. Tout cela vaut encore de nos jours.

Steve Peacher : Chez Filene’s Basement, il y avait la fameuse vente annuelle de robes de mariée, qui attirait les foules. Aujourd’hui, j’habite un immeuble situé juste au-dessus de l’ancien magasin Filene’s Basement, donc je connais bien l’endroit. Mais quand j’ai commencé dans l’équipe des obligations à rendement élevé de Putnam Investments, en 1990, Drexel était en train de faire faillite; à l’époque, il n’y avait qu’une poignée de compagnies d’assurance et de gros fonds communs de placement, et pour effectuer une émission d’obligations à rendement élevé, il fallait faire intervenir quelques-unes d’entre elles dans l’opération pour qu’elle aboutisse. Aujourd’hui, l’éventail d’investisseurs, non seulement sur le marché des obligations à rendement élevé, mais aussi sur le marché du crédit privé, a changé et s’est beaucoup élargi. Qui sont les investisseurs que vous rencontrez, chez Crescent, sur le marché de ces catégories d’actifs? Qu’est-ce qui les caractérise?

Mark Attanasio : C’est drôle que vous habitiez juste au-dessus de chez Filene’s; j’ai justement fait des vérifications préalables dans ce magasin! Comme vous disiez, dans les années 1980 et au début des années 1990, le marché des prêts privés était dominé par les compagnies d’assurance; d’ailleurs, elles représentent toujours une part importante du marché, et comme je crois l’avoir mentionné à la conférence des dirigeants, 25 % des clients de Crescent sont des compagnies d’assurance. Et à l’évidence, nous sommes partenaires d’une compagnie d’assurance; c’est donc logique d’essayer d’obtenir un rendement supplémentaire moyennant un risque relativement faible. À l’époque, il y avait aussi des firmes comme GE Capital ou CIT – GE a d’ailleurs créé une filiale de financement distincte, Heller Financial – tout cela ressemblait beaucoup à un syndicat de prêt. Aujourd’hui, les choses ont radicalement changé. La gamme de participants est très large : régimes de retraite, régimes à cotisations déterminées, organismes souverains, particuliers fortunés en tout genre… Tous les investisseurs qui visent un rendement élevé à un chiffre doivent aller du côté du crédit privé, parce qu’ils ne pourront pas l’obtenir sur les marchés publics.

Steve Peacher : Comme vous le disiez plus tôt, il y a eu beaucoup de changements depuis les années 1980 et le début des années 1990 : les investisseurs, l’acceptation de différentes variantes de ces catégories d’actifs, l’apparition de nouveaux secteurs, la création de nouvelles structures comme les titres garantis par des prêts… Dans l’avenir – d’ici trois, cinq ou même dix ans –, à quoi doit-on s’attendre du point de vue de l’évolution de ces marchés de titres de moindre qualité, du côté du crédit privé, mais aussi du côté des titres publics?

Mark Attanasio : Parlons d’abord des titres publics. Encore une fois, les types de sociétés que nous finançons ont de loin dépassé nos attentes; on sait que Ford Motor était notée comme un titre de qualité inférieure, tout comme Netflix. On parle de grosses sociétés. Dans nos portefeuilles publics, le bénéfice avant intérêts et amortissement moyen (ou médian, je ne sais plus) est de un milliard de dollars. Ces grandes entreprises n’auraient jamais pu accéder à notre marché dans les années 1980. Surtout avec ce type de croissance. Du côté du marché privé, c’est la même chose. La taille de certains syndicats de prêt direct dépasse maintenant 2 milliards de dollars. Notre société peut engager peut-être 500 millions de dollars dans une opération unique. Ce qui fait que le marché est soutenu par des opérations de type « club »; comme dans le cas des compagnies d’assurance, nous sommes une poignée de sociétés qui peuvent engager des fonds importants dans une opération. Ce sont maintenant les entreprises, ou les fonds de capital-investissement, qui tiennent les rênes; tous ont des groupes spécialisés dans les marchés des capitaux et cherchent des réponses très rapides pour structurer les opérations de façon que le premier dollar de remboursement revienne à l’investisseur; c’est donc une évolution technique sur le marché. Je pense donc que cela continuera de prendre de l’ampleur. Et cela est en grande partie dû aux percées technologiques. Dans les années 1980, pour obtenir de l’information financière, il fallait se la faire livrer. Je ne me souviens même plus si FedEx existait déjà. Aujourd’hui, il suffit de la mettre sur un portail, et tout le monde y a accès. L’an dernier, par exemple, la dernière année de la pandémie chez Crescent, nous avons réalisé ou participé à des montages de 8,9 milliards de dollars; 8,9 milliards de dollars de prêts privés, à partir de chez nous. Cela aurait été inimaginable, il y a même dix ans. Je pense donc que cela va continuer. Les banques, en particulier dans ce contexte de turbulences, reviennent sur ce marché, et acceptent des prêts largement syndiqués et des prêts privés dans leur bilan. Mais elles ont déjà commis quelques erreurs, qui ont été signalées, et ceux d’entre nous qui passent tout leur temps à gérer les risques font au bout du compte un meilleur travail.

Steve Peacher : Vous avez mentionné la technologie. Je me souviens qu’il existait un terminal pour les documents à déposer auprès de la Fed, et je me rappelle quand les formulaires 10-K et 10-Q arrivaient. On pouvait en fait recevoir un formulaire 10-Q avant tout le monde, ce qui serait inconcevable aujourd’hui. Je me rappelle aussi que j’avais une calculatrice Monroe sur mon bureau, quelque chose dont très peu de gens se souviennent. Mais je crois qu’elle ne pouvait pas prendre en charge les paiements d’intérêts en nature – je crois qu’il y avait un défaut avec le service Bloomberg d’origine, dont personne ne se souvient de toute façon. Une dernière question, personnelle cette fois, sur un sujet complètement différent. Je sais que vous avez une collection incroyable de cartes de baseball et que vous êtes très impliqué là-dedans. Récemment, on a beaucoup parlé d’une carte de Mickey Mantle qui s’est vendue plus de 12 millions de dollars. Ma question est : comment un marché d’objets de collection comme les cartes de baseball, qui existe depuis longtemps, et l’émergence des jetons non fongibles, ou JNF, peuvent-ils se recouper? Il existe un exemple lié à cette carte de Mickey Mantle, dont vous m’avez parlé, et je pense que les gens aimeraient connaître votre opinion là-dessus.

Mark Attanasio : Le marché des objets de collection a pour ainsi dire explosé pendant la pandémie, de la même façon que les marchés privés dont nous parlions plus tôt, car beaucoup de gens étaient chez eux et avaient beaucoup de temps à tuer. Le prix des cartes de collection, par exemple, a pratiquement triplé en dix-huit mois. Il existe maintenant toutes sortes de fonds de cartes de collection. En fait, j’ai investi dans deux d’entre eux, et beaucoup commencent à se concentrer sur la notation des cartes, comme le font les numismates; c’est un système qui existe depuis longtemps pour les objets de collection, mais l’obsession est devenue telle qu’un spécimen parfait se vend au prix fort. Prenons l’exemple de la carte de Mickey Mantle, c’est-à-dire la carte « physique ». Il existe différentes agences de notation, comme pour les obligations. Parmi ces trois ou quatre agences, PSA est la plus largement reconnue, mais les autres le sont elles aussi. En passant, PSA a été visée par un rachat avec le soutien de Steve Cohen, un important gestionnaire de placements, qui est également propriétaire des Mets. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne une carte de Mickey Mantle notée 10, les gens pensent qu’elle vaut plusieurs dizaines de millions de dollars; une carte notée 9 s’est vendue 5 millions, une carte notée 8 se vend peut-être 2 millions. Les cartes notées 9 valent probablement entre 5 et 10 millions. Un parfait exemple est celui d’une carte notée 9,5 par je ne sais plus quelle agence, qui faisait partie d’une collection célèbre qui vient d’être adjugée pour 12,6 millions de dollars chez Heritage Auctions, ce qui a établi une norme; la question qui se pose est donc, dans ces conditions, qu’arrive-t-il quand les JNF entrent en jeu? Parce qu’avec un JNF, on peut obtenir une image parfaite de quelque chose. C’est un bien numérique que l’on a sur son téléphone ou son ordinateur. Fanatics, une grande société qui commercialise toutes sortes d’objets liés au sport, depuis les cartes Topps jusqu’à l’équipement en passant par d’autres articles, contrôle les droits sur les JNF liés au baseball, et elle a mis sur le marché une carte JNF de Mickey Mantle. La question était de savoir combien elle allait la vendre. D’un côté, il y avait les gens qui voyaient cela comme le nouveau paradigme; pour eux, c’était par définition la carte parfaite, la représentation parfaite. Elle provenait de la base de données Topps. C’était une reproduction photographique parfaite, comparable aux copies papier matérielles. D’autres disaient plutôt que les gens voulaient posséder quelque chose de concret, et qu’ils ne seraient simplement pas intéressés; la carte JNF s’est finalement vendue environ 470 000 $, ce qui est beaucoup d’argent pour l’image d’une carte. En passant, je pourrais mettre l’image d’une carte de Mickey Mantle sur mon iPhone – la plupart des gens ne feraient pas la différence – et dire que je possède le JNF; mais ce n’est pas la même chose que la copie matérielle. Le JNF s’apparente donc beaucoup à une expérience. Avec la carte de Mickey Mantle, c’est comme si vous parliez à ses deux fils pendant une demi-heure; peut-être que si vous parliez à Mick pendant une demi-heure, cela serait différent. Nous verrons comment cela évolue. Je pense que les JNF sont là pour de bon, mais il y a eu beaucoup de spéculation sur ce marché, comme sur le marché des cryptomonnaies. Et franchement, quand on pense au marché des obligations à rendement élevé, Steve, au genre d’actifs que nous gérons, vous et moi, il y a aussi eu beaucoup de spéculation, mais il y a maintenant une bien meilleure discipline.

Steve Peacher : C’est vraiment fascinant, car c’est un excellent exemple de rencontre entre le monde virtuel et le monde matériel. On peut donc comparer le prix d’une carte qu’on peut posséder à une image parfaite de la carte qu’on ne peut pas posséder, et au moins dans ce cas, on peut voir comment leurs prix relatifs sont établis. Merci en tout cas pour cette discussion passionnante, Mark. On peut voir qu’un marché comme celui des cartes de collection, et son évolution, présentent bien des points communs et des analogies avec l’évolution du marché du crédit privé de ces 30 dernières années. Merci à tous d’avoir écouté cet épisode de Trois en cinq, et merci à vous, Mark, d’avoir été des nôtres.

Mark Attanasio : Merci, Steve. Toujours un plaisir.

 

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