Épisode 49

04 MAI 2022

Rich Familetti parle d’inflation et de taux d’intérêt

Rich Familetti, premier directeur des placements, rendement global associé aux placements à revenu fixe, Gestion SLC, discute de la manière dont l’inflation et la hausse des taux d’intérêt ont une incidence sur les marchés obligataires des États-Unis.

Steve Peacher : Bonjour chères auditrices et chers auditeurs, ici Steve Peacher, président de Gestion SLC. Pour cet épisode de la série « Trois en cinq », j’ai le plaisir de m’entretenir avec Rich Familetti, qui est responsable de l’équipe et des portefeuilles Rendement global associé aux placements à revenu fixe. Merci, Rich, de prendre le temps de vous entretenir avec moi aujourd’hui.

Richard Familetti : Tout le plaisir est pour moi; je suis heureux de m’entretenir de nouveau avec vous, Steve.

Steve Peacher : De toute évidence, l’inflation, la régression des taux nominaux qu’elle entraîne et la hausse des taux d’intérêt par la Fed préoccupent beaucoup les marchés ces jours-ci. Non pas que la récente régression des taux nominaux soit sans précédent, mais elle est particulièrement spectaculaire et rapide. La hausse des taux d’intérêt par la Fed est décidément un facteur déterminant de cette régression des rendements. Comme vous êtes responsable des portefeuilles d’obligations, je voulais vous demander quelle position vous avez décidé d’adopter face au contexte actuel et que pensent les Clients de la stratégie que vous avez mise en place.

Richard Familetti : Depuis les années 1990, nous n’avions pas vu une telle régression des cours obligataires ni une telle augmentation des taux d’intérêt et une telle volatilité. Certes, les taux d’intérêt étaient plus élevés à l’époque, mais nous n’avions pas vu de hausse si importante depuis. Fait intéressant, nous n’avons pas eu à convaincre les Clients d’investir dans les obligations à ces niveaux. En fait, ils ont montré un plus grand intérêt à augmenter la pondération d’obligations, et cela est dû à plusieurs facteurs. Tout d’abord, lorsque les taux d’intérêt augmentent, le financement des pensions et des mandats à duration plus longue s’améliore. L’augmentation de la pondération de la caisse de retraite sert de stratégie de couverture qui, à son tour, améliore le financement des caisses de retraite, et réduit le risque de la caisse de retraite. Donc, la hausse des taux d’intérêt tant dans les caisses de retraite publiques que privées a entraîné une augmentation des flux entrants, tant les Clients existants que nouveaux étant particulièrement attirés par les taux d’intérêt plus élevés dans le segment à duration plus longue. Nous avons aussi parlé aux Clients au sujet du segment à duration plus courte, car si le segment à duration plus longue est profitable pour le passif à plus long terme, la duration courte est actuellement intéressante, particulièrement les obligations de première qualité à deux ou trois ans et les taux des portefeuilles d’obligations dépassant les 4 % [1]. Les taux des portefeuilles d’obligations sont donc légèrement en avance, à court terme, par rapport à la Fed, grâce aux obligations à deux et trois ans, dont les taux varient de 2,5 à 3 %, ainsi qu’aux écarts, et d’autres instruments, tels que les créances titrisées, les obligations de sociétés et les obligations adossées à des prêts. Non seulement ce genre de portefeuille génère un rendement de 4 % ou plus, grâce à la hausse des taux d’intérêt, mais il offre une importante protection du capital. Voilà pourquoi il n’a pas été difficile de convaincre les Clients d’investir dans les obligations.

Steve Peacher : Vous avez beaucoup étudié les marchés obligataires, et je sais que vous surveillez de très près les taux d’intérêt et que vous tentez d’établir des prévisions quant à leur trajectoire. Toutefois, je ne crois pas que vous soyez prêt à miser sur l’évolution des taux d’intérêt dans les portefeuilles, car leur revirement de tendance pourrait causer à ceux-ci un choc assez brutal. En effet, les obligations peuvent produire des rendements très satisfaisants, mais une mauvaise prévision de l’évolution de leurs rendements pourrait nuire au rendement du portefeuille. Or, vous et votre équipe utilisez plusieurs autres leviers financiers lors de la construction des portefeuilles. À la lumière de l’évolution des taux d’intérêt, de quelle manière positionnez-vous les portefeuilles dans le contexte actuel?

Richard Familetti : Comme vous l’avez si bien dit, nous ne misons pas vraiment sur les taux d’intérêt, mais il y a des façons de tirer avantage de l’évolution des taux, non seulement de leur augmentation, mais aussi de leur volatilité. L’une de ces façons consiste à chercher à constituer un portefeuille à convexité plus élevée. La convexité est un concept très avancé et il désigne essentiellement tout changement de la duration, ou tout changement de sensibilité d’une obligation aux taux d’intérêt, ou de sensibilité d’un portefeuille d’obligations à tout changement des taux d’intérêt. Dans la pratique, lorsque les taux d’intérêt augmentent, les cours des obligations diminuent. Mais, le cours d’une obligation ayant une convexité plus élevée ne diminue pas autant. Donc, dans la mesure où nous pouvons détenir, par exemple, des obligations assorties de coupons plus petits, lesquelles tendent à avoir une convexité plus élevée que les obligations à coupon élevé, nous pouvons augmenter la complexité du portefeuille. Une autre façon d’augmenter la convexité – soit dit en passant, nous avons déjà eu recours à cette stratégie, et nous y aurons probablement encore recours à l’avenir – consiste à substituer des obligations à 40, 50, voire 100 ans aux obligations à 30 ans. Fait intéressant, la duration d’une obligation à 30 ans est à peu près la même que celle d’une obligation à 100 ans. Mais, la convexité de l’obligation à plus long terme est considérablement plus élevée, de même que la volatilité du taux est plus élevée. Or, si le taux augmente au point où nous pouvons accroître le revenu et la convexité dans un portefeuille, le profil de rendement s’améliorera grandement. Une autre stratégie à laquelle nous avons eu recours pour augmenter la convexité est axée sur le marché des prêts hypothécaires titrisés. Les titres adossés à des créances avec flux identiques forment une grande partie du marché obligataire, mais ils ont une convexité très négative. Pour cette raison, lorsque les taux d’intérêt augmentent, leur cours chute plus rapidement que celui des obligations à convexité positive. L’une des façons d’augmenter le rendement consiste donc à trouver des créances titrisées qui ont un meilleur profil de rendement que les titres adossés à des créances avec flux identiques, notamment en raison de leur convexité. J’ajouterais aussi que, du point de vue d’un investisseur en crédit, les secteurs qui afficheront fondamentalement une meilleure performance dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés sont, bien évidemment, les services financiers, mais aussi les compagnies d’assurance, qui tirent profit de la hausse des taux d’intérêt. Les fondamentaux des services financiers se sont, en effet, améliorés, en dépit des écarts de taux plus importants, dans leur ensemble, dans ce secteur.

Steve Peacher : Je pense que lorsque l’on observe un fort consensus en ce qui a trait à une orientation particulière d’une variable importante, il faut prendre du recul et réfléchir aux raisons pour lesquelles ces prévisions pourraient ne pas se concrétiser. Les points de vue consensuels sont souvent influencés par l’activité récente du marché. Or, les taux ont récemment augmenté, contrairement à leur tendance des dernières décennies, et il me semble qu’il y a un consensus, ou qu’un consensus est en train de se former autour de la perspective de hausse des taux d’intérêt. Certains ont-ils une perspective différente, c’est-à-dire qu’ils s’attendent à ce que la tendance se renverse de nouveau et que les taux baissent?

Richard Familetti : Intéressant. Selon nous, à l’heure actuelle, il y a autant de chances que les taux augmentent que de risques qu’ils diminuent, et ce, en dépit des perspectives d’inflation, lesquelles sont assez moroses à court terme […] Comme je l’ai mentionné plus tôt, les taux d’intérêt à court terme ont déjà augmenté bien au-delà des hausses de taux d’intérêt annoncés par la Fed, et ils tiennent probablement compte de 10 ou 11 hausses de taux d’intérêt par la Fed. Vous obtenez un taux assez élevé et probablement une protection du capital assez bonne dans le segment à duration courte. En fait, vous pourriez argumenter que les taux ont beaucoup trop augmenté et qu’ils pourraient en fait diminuer à court terme si la Fed s’avère ne pas être aussi agressive que les investisseurs l’ont anticipé. Cela semble être relativement évident. Si l’on observe l’évolution générale à long terme de l’inflation plutôt que la courbe de rendement – et nous pourrions aussi parler de son évolution générale à court terme – et que l’on suppose que l’inflation est un phénomène monétaire, l’on peut conclure que la Fed a pris les bonnes mesures pour contrer l’inflation. L’un des facteurs pouvant servir à étayer ce point de vue est la hausse du dollar par rapport au franc suisse. Nous croyons qu’il est intéressant de suivre le rapport entre ces deux monnaies, car il indique le degré d’agressivité et d’efficacité des mesures prises par la Fed, selon le sentiment des marchés. Le franc suisse, qui est une monnaie forte, s’est déjà apprécié. Un autre facteur est le prix de l’or, qui s’est maintenu dans une fourchette. Donc, ces deux facteurs indiquent que la Fed a pris les bonnes mesures en ce qui a trait au phénomène monétaire que l’on nomme l’inflation. Dans la mesure où cela est vrai, l’on peut très certainement s’attendre à une baisse des taux d’intérêt dans un avenir prévisible. Enfin, un autre facteur qu’il est raisonnable d’envisager – et je ne dis pas que l’on anticipe une récession à court terme – est le ralentissement de l’économie au cours des deux prochaines années. L’inflation perturbe effectivement la demande, ce qui, à son tour, peut entraîner un ralentissement économique et pousser les banques centrales à considérer d’augmenter les taux d’intérêt. Un autre point intéressant que j’aimerais souligner est les projets de loi sur les dépenses qui n’ont pas été mis en place aux États-Unis. Cela signifie qu’à moins que des changements politiques ne se produisent en novembre, la situation financière pourrait grandement s’améliorer. Bref, la réduction du déficit budgétaire ainsi que les mesures mises en place par la Fed pourraient très certainement entraîner la baisse des rendements des obligations du Trésor américain.

Steve Peacher : Les marchés obligataires sont intéressants, car leur analyse nous donne une vue d’ensemble de la situation économique. Par exemple, l’extrémité courte de la courbe nous indique quelles sont les attentes qui sont prises en compte en ce qui concerne les mesures que prendra la Fed; ou l’on peut analyser les facteurs qui exercent une influence sur les prévisions d’inflation. Autrement dit, nous sommes plus en mesure de prendre en compte certains facteurs dans l’analyse du marché obligataire que de tenter de déterminer quels sont les facteurs qui exercent une influence sur le ratio cours/bénéfice du côté des actions. Merci, Richard, d’avoir répondu à mes questions sur des sujets importants et complexes. L’entretien tire à sa fin et, fidèle à mon habitude, j’aimerais vous poser des questions de nature plus personnelle. Vous êtes un grand amateur de musique, et vous aimez tout particulièrement assister à des concerts en direct dans la ville de New York où vous habitez. Vous avez déjà assisté à de très nombreux concerts, mais pas autant durant la pandémie de COVID-19. Cependant, des concerts seront de nouveau donnés en direct. Nous avons assisté ensemble au concert d’un groupe de blues à Chicago. Si je me rappelle bien, le chef d’orchestre était octogénaire, ce qui était intéressant. Ma question est la suivante : en tant qu’amateur de musique toujours à l’affût des nouvelles tendances, et surtout, en tant qu’amateur de musique en direct, quel genre de musique écoutez-vous ces temps-ci?

Richard Familetti : Je répondrai en me limitant sur le plan géographique à notre région du monde. Pour nos amis canadiens, je dirais que je me suis intéressé au groupe de musique Wine Lips, basé à Toronto, composé de jeunes musiciens. Ils sont vraiment bons. J’ai eu la chance d’assister à l’un de leurs concerts en direct. J’écoute aussi leur musique sur Spotify ou d’autres plateformes. Je suis certain qu’ils organisent d’autres concerts à Toronto. Ça vaut le détour. Et, pour nos amis de Boston, la tenue du festival de musique Boston Calling approche à grands pas. Je ne sais pas si nos auditeurs connaissent ce festival. Des groupes connus, comme Metallica, The Strokes, Nine Inch Nails y donnent des concerts enlevants. Du vrai divertissement. Je pourrais aussi mentionner le groupe de musique Wet Leg, un drôle de nom pour ce groupe originaire de Isle of Wight en Grande-Bretagne. Ils jouent de la musique pop. J’aime, entre autres, leur chanson intitulée « Chaise longue » qui, selon moi, fera à jamais partie du répertoire des grands classiques. C’est l’un de mes groupes de musique pop préférés ces temps-ci.

Steve Peacher : Ce sont d’excellentes recommandations, j’en ai pris bonne note. Et, comme j’habite à Boston, je ne manquerai pas de me renseigner un peu plus sur le festival de musique Boston Calling. Merci, Rich, d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Je remercie également nos auditeurs d’avoir été à l’écoute de cet épisode de la série « Trois en cinq ».

Richard Familetti : Merci, Steve.

 

[1] Bloomberg